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mardi 15 mai 2007

125 - La domesticité

Monsieur,

Sachons entendre avec intelligence, probité et sens de la mesure les saints préceptes de la chrétienne religion qui nous ont été enseignés. Nous sommes des gens de bien vous et moi. Sachons nous représenter cependant l'infinie bassesse de ceux qui, pour leur malheur et pour notre bonheur, ne nous ressemblent pas. Je veux désigner bien entendu ces masses laborieuses issues de si peu de choses. Gens du peuple et gens de rien, pour me résumer.

Que nous enseigne la religion ? Elle nous dit, entre autres choses, qu'il est malséant pour un homme de goût soucieux de cultiver sa réputation, de préserver sa santé et de sauver son honneur d'user de la chair femelle à des fins malhonnêtes. Cela est une vérité universellement admise, il est vrai. Mais ce que ne précisent pas les Ecritures, c'est qu'il existe deux races de femelles sur Terre. Deux espèces radicalement différentes.

En effet, dans ce monde harmonieux qui semble avoir été spécialement conçu pour nous les gens de bien, il y a à notre disposition les simples filles sans envergure, sans titre et sans fortune communément appelées servantes, domestique, ou lingères, bonniches, souillons, bonnes à tout faire ou encore filles de ferme, comme vous voudrez. La définition exacte importe peu ici.

Et puis pour notre admiration, notre chaste inspiration et l'exercice de nos belles manières, il y a les autres : les Marquises, les Demoiselles de bonne famille, les vierges à particule, les Comtesses, etc. Ces femmes que j'appellerais commodément «l'espèce à peau laiteuse».

Sachez qu'il ne saurait y avoir péché pour des gens de notre rang à vouloir s'amuser avec la première catégorie de ces créatures. Engrosser par mégarde ces paysannes, ces gens de rien, ces pauvresses, ces âmes simples et sans religion, ces frustres sensibilités, ces couturières sans avenir, ces représentantes de la plus commune espèce enfin (et d'ailleurs vouée aux oubliettes de l'Histoire), ne constitue pas en soi une faute. Sauf bien sûr si l'homme de bien met en danger sa santé, ce qui par contre serait un grave et véritable péché car on ne doit pas mettre inconsidérément en danger sa santé de chrétien sous prétexte de passager égarement.

Au passage je me permets une petite digression : on ne mettra jamais assez en garde les hommes de notre race contre ces dangers, qui sont réels. Au cas où la servante mettrait en péril la santé de son maître, soit par manque d'hygiène, soit par négligence des bonnes manières à adopter face aux ardeurs de son maître (ce qui est fréquent chez ces paysannes-là), celle-ci sera jetée à la rue sur-le-champ, sans autre forme de procès. Et sans dédommagement cela va sans dire, car il serait inconcevable qu’une lingère réclamât à son maître !

Bref, sachez que l'espèce paysanne a été mise sur Terre pour contenter les menues envies des gens du monde que nous sommes. Et les femmes à peau laiteuse qui ont eu le bon goût d'hériter d'une particule, celles-là sont nées pour qu'on leur rende hommage de la manière la plus élégante, la plus délicate et la plus généreuse qui soit. Ce qui est dans l'ordre normal des choses, vous en conviendrez.

Donc on ne s'amusera point contre leur gré avec les Marquises, les Demoiselles bien nées pensionnaires des couvents, les épouses honnêtes des bourgeois, etc. Comme le monde est bien fait, rappelons-nous que pour ce genre de passe-temps sans conséquence mais, paraît-il, impérieux pour nous les gens du noble sexe, il y a à notre disposition un inépuisable réservoir à plaisirs. En effet, les filles de peu pullulent, abondent, et l'on ne parvient même pas à les dénombrer tant elles infectent le pays.

Ce qu'il fallait rectifier dans les Ecritures, c'était cela précisément. Pour nous les gens de la bonne société, il n'y a point de véritable péché d'user de la chair des servantes. D'autant moins que ces dernières sont normalement à notre service, et qu'elles sont donc payées pour cela. L'argent donnant tous les droits à celui qui le possède, et les paysannes n'ayant de par leur condition ni l'un ni l'autre (ni argent ni droit), il est naturel et légitime (et même fortement recommandé pour les gens souffrant d'obsessions sexuelles particulières ou de vices et passions inavouables que ne sauraient chrétiennement satisfaire les honnêtes épouses) que l'homme de bien profite pleinement de ce que Dieu lui propose sous la forme d'une simple lingère.

A partir du moment où l'honnête homme paye les services de sa bonne, il a le droit d'en disposer comme il l'entend.

Donc, vous pouvez profiter de votre bonne tout votre saoul Monsieur, il ne saurait y avoir péché (sauf si, je vous le rappelle, celle-ci vous infecte avec une méchante maladie, en ce cas vous n'omettriez pas de la châtier sévèrement). Vous pourrez ensuite continuer d'aller à l'église le dimanche la tête haute, votre épouse pendue à votre bras, avec la considération de l'évêque (qui lui aussi, de par sa haute fonction, dispose d'une bonne).

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