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mardi 15 mai 2007

191 - De l'huile sur un coeur en feu

Amante en pleurs,

Je viens de recevoir ce matin votre lettre couleur sang. Remettez vos habits de scène, la pièce n’est pas terminée.

Pour vous aimer dans toute la gloire de mon coeur d’élite, je viens vers vous l’épée au flanc gauche, le heaume relevé, les pensées droites, la rose de Damas à la main. Je viens vers vous plein d’honneur et de noblesse. Sur un signe de moi, mon cheval pose un genou par terre et courbe l’échine jusqu’à votre cheville où je viens déposer la fleur d’Orient. Vous prenez entre vos doigts délicats l’éphémère joyau floral. Et au moment où vous portez à vos lèvres ce calice de parfum digne d’un baiser, celui-ci vous pique. L'épine sournoise... La rose gît à vos pieds. Amour vénéneux, douloureux, acide et amer. C’est ici que peut commencer notre histoire. Au seuil de la souffrance. C’est un roman qui commence par une perle de sang.

Comprenez Ophélie que cela est digne d’être vécu. Vos larmes font la valeur de ce roman vivant et vécu. Cet amour difficile est à l’image de l’intemporel drame humain. Souffrez donc à la mesure d’une princesse Ophélie, parce que mon coeur vous élève jusqu'à ce rang. Et surtout sachez verser les larmes simples et vraies, terriblement touchantes de la bergère, de la pauvresse, de la fille en deuil. Troquez votre couronne de princesse contre quelques sanglots que je viendrai entendre, pour ma peine et ma joie.

Que je vous nomme Dame ou pucelle, princesse ou paysanne, votre coeur chagriné sera l’égal de tous les coeurs de femmes en douleur. Ophélie, lorsque sur votre joue ruisselle votre peine, je sais que vous vous moquez d’être princesse, et mêlez vos larmes aux larmes de toutes celles qui souffrent un semblable chagrin, vous unissant ainsi au monde entier en un torrent de douleur sublime.

Votre douleur me fait vous aimer davantage. Quelle plus belle signature d’un amour qu’une goutte de chagrin ? Je veux que vous me témoigniez de votre attachement si tendre pour moi par cette encre de cristal, de sel et d’amertume. Je veux voir sur votre lettre prochaine cette trace sublime et dérisoire de la douleur humaine. Pour dépasser la scène de théâtre. Pour faire voler en éclats le jeu théâtral, et le vivre dans toute sa splendeur et sa cruauté. Que meurent et Shakespeare et Corneille, vains rimeurs et poètes, et que vivent nos coeurs de chair humaine, plus sensibles aux coups de poignards qu’aux trop jolies paroles ! Qu’ils soient crevés par les lames aiguës de l’affliction et les épines de l’amour... Gardez donc vos habits de soie et de velours Ophélie, ils seront votre plus beau linceul.

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