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mardi 15 mai 2007

193 - Le testament d'un collectionneur

Amantes collectionnées, je vous ai choisies pour vos grâces ou disgrâces, pour vos esprits naïfs ou pervers, vos âmes pieuses ou légères, puis j'ai fini par vous aimer pour vos lettres qu'une encre solennelle rendait si chères, et qui tombaient dans ma boîte : éclats indélébiles de vos coeurs de verres. Pour vos mots d'amour j'ai attendu avec fièvre le passage de l'agent des postes, messager impartial de vos gloires et misères apportant dans une professionnelle indifférence vos espoirs, désespoirs, rêves et sanglots.

Je voulais ces mots tombés du ciel, dictés par des éplorées, et les veux encore. Sachez qu'un être parvenu jusque dans mes bras et qui paisiblement s'endort le soir en la légitime alcôve ne m'empêchera pas de continuer à songer à l'amour et à sa naissance : cette miraculeuse émergence annoncée par ces courriers reçus comme autant de maîtresses : vos lettres.

Vos correspondances sont des preuves d'amour que je conserve comme un trésor dans mes classeurs numérotés. Chaque lettre que vous m'avez adressée recèle un miracle imprimé : de l'amour sur parchemin, écrit noir sur blanc, lu, approuvé, signé. Parfois en lettres de sang, folles que vous êtes ! Cette naissance de l'amour dans le berceau de vos lettres, ne fut-ce pas l'accouchement de vos coeurs ?

Faire naître le sentiment amoureux, c'est mon chemin de gloire, la graine obligée que je dois ensemencer en cette Terre aux prises avec les forces du prosaïsme, de plus en plus vidée de poésie.

Amantes de plume, que vous soyez roses ou chardons, pétales ou épines, vous avez éclos sous la lumière de mes promesses et, le temps de votre magnificence épistolaire, vous avez ensoleillé mon terrestre séjour par vos empressements, vos pleurs, votre beauté. Ou votre laideur magnifiée. Mais aussi par vos mains qui traçaient avec une sainte frénésie mon nom sur des papiers soigneusement choisis, puis baisés, parfumés parfois, envoyés avec des fièvres romantiques qui vous flattaient...

Les fruits de cet arbre aux feuilles variées, aux racines profondes que vous adoriez, ce sont vos âmes tombées dans le piège de l'amour, mûries par mon suc amer et doux. Transfigurées. Vous avez enfanté de votre propre douleur d'aimer. Ma terrestre progéniture : un poème dans chacun de vos coeurs. Ne vous ai-je pas aidé à vivre ? Vous le rosier, moi le chêne.

Vos coeurs brisés sont mes oeuvres d'art, des diamants malléables à distance. En esthète je vous aime, amantes lointaines, bijoux durables, âmes blessées que cicatrisera l'éternité... Je vous aime, mes chères conquêtes, non comme des proies, mais comme des trophées qui ornent mon existence.

Soyez heureuses, vous qui vivez le souvenir de ma flamme. C'est ma prière, ma bénédiction, mon testament. Mais surtout mon rachat, ma rédemption, ma délivrance.

Mon salut.

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