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mardi 15 mai 2007

196 - Les plumes sans aile

Lettre envoyée à un directeur de revue littéraire.

Monsieur,

J'ai lu avec fièvre les pages glacées de la revue «Ecrire Aujourd'hui» (numéro 58), publiée sous votre autorité. Dans l'éditorial votre confrère Monsieur Berthelot -qui n'a pas daigné me répondre- exhorte les plumes de mauvaises volontés à poursuivre leur vol d'essai vaille que vaille, en leur assurant son éminent soutient (dûment tarifé, il ne le précise pas mais cela va de soi). Je constate que vous vous faites le chantre des innombrables producteurs de brouillons qui pullulent actuellement dans cette société où l'amateurisme est devenu un passe-temps en voie de développement, un filon prometteur pour les marchands d'illusions avides de vendre divers conseils, guides, méthodes... Bref, du vent cédé au prix fort.

Aujourd'hui c'est la mode de l'écriture, de la littérature même, qui est à l'honneur chez les profanes assoiffés de prestige calibré et de reconnaissance télévisuelle (la télévision : ce fameux pinacle de la «réussite littéraire», le temple de la vanité moderne !). On fait croire à ces amateurs que le talent littéraire chez les gens de leur espèce est un fait acquis, et que le seul problème pour eux n'est que de revendiquer le droit d'être publié. On mène avec ardeur le noble combat pour la démocratisation de la gent porte-plume, comme si n'importe qui pouvait devenir Hugo.

Vous êtes-vous seulement déjà demandé ce qui se produirait pour la littérature, l'édition, les lectorats, si chaque amateur de l'écrit se faisait éditer ? Cette littérature se vendrait au kilo, et nous croulerions sous une «pensée universelle» de rigueur, et à ce point accessible, à ce point représentative de l'état des choses et si «digne d'intérêt» qu'elle pénétrerait sans complexe jusque dans les sphères les plus crétines de la société. Par exemple dans les asiles d'aliénés.

Mais venons-en au réel objet de cette lettre, ce qui précède n'étant qu'une introduction. J'ai lu sous la rubrique « Beauté du texte » du numéro 58 de votre revue un "poème de choix" (l'auteur est Frédéric Besnard), ainsi qu'un autre de Jean-Noël Gueno page 15 (Même tu l'amour vit-il dans l'eau. etc.), tout aussi surprenant.

Je sais bien que l'hermétisme donne du prestige à la poésie, surtout lorsque l'auteur est dénué de talent poétique... Quand un lecteur comme moi fait remarquer avec beaucoup de bon sens qu'un texte est incompréhensible, il s'entend rétorquer que la poésie est un exercice d'initiés, qu'il ne s'y connaît guère en la matière, que la critique est aisé, etc. Et c'est ainsi que le charabia est encensé dans les pages d' «Ecrire Aujourd'hui», au nom de la promotion d'un genre en déclin. Je pense que si on n'avait pas donné la parole à ces piètres amateurs, la situation de la poésie n'en serait pas là aujourd'hui, et on s'occuperait à relire sans se lasser Baudelaire plutôt que de se perdre en conjecture sur la poésie actuelle. Il faut oser désacraliser les faux dieux et dénoncer l'imposture littéraire contemporaine si on veut défendre la littérature de qualité. Mais est-ce vraiment la vocation de votre revue ?

Je me permets de vous poser la question. Celle-ci mérite que vous y répondiez en toute bonne foi, intelligence et rigueur.

Je vous remercie pour votre attention et vous prie de bien vouloir me pardonner si la vigueur de mes propos vous a ému. Je ne cherche pas tant à railler la littérature actuelle qu'à la rétablir dans sa splendeur perdue.

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