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mardi 15 mai 2007

197 - Le souffle du vent

La revue littéraire "Ecrire Aujourd'hui" n'est pas d'accord avec mes critiques sur la littérature. A la réponse molle et consensuelle de la revue (que je ne recopie pas ici car dénuée intérêt), voici ce que je rétorque :

Marie Doal,

J'ai bien reçu votre courrier et vous remercie de votre attention. Il est vrai que vous me répondez avec coeur, intelligence, habileté, mais également avec beaucoup de partialité. Vous semblez vouloir défendre avant tout une cause qui n'a plus rien à voir avec l'art poétique véritable : la prospérité de votre clocher (qu'elle soit simplement pécuniaire ou plus immatérielle). Ce qui vous intéresse plutôt ici c'est le succès de votre revue, et non pas surtout la gloire du beau verbe. Sur le plan humain je le comprends fort bien. Je ne saurais toutefois souscrire à ce que vous dites sur le plan strictement intellectuel.

En effet, je persiste à penser (avec toute l'honnêteté d'esprit dont je suis capable), que de nos jours l'hermétisme en poésie est la plus flatteuse et la plus facile parure des plumes communes, voire médiocres. Quand on se trouve trop lourd pour décoller, on singe le premier bel oiseau venu et on se prend aussitôt pour un certain albatros. A défaut de planer dans les airs on ne parvient qu'à faire comme le perroquet sur son perchoir : comme lui on en est réduit à répéter de manière grotesque, clownesque, ridicule ce que disent les maîtres.

Aujourd'hui lorsque le poète n'a rien à dire, il le dit sous le masque prestigieux et bien opaque du "sonorisme" (pour prendre un de vos exemples dans votre lettre), et nul n'omet d'applaudir, parce que celui qui n'applaudit pas est aussitôt taxé d'ignare, d'insensible, de provincial. Qui d'ailleurs oserait critiquer des textes si avant-gardistes au risque de passer pour un inculte ? Vous me parlez de la richesse de la poésie contemporaine, «vivante, variée, polymorphe, engagée». Soit. Cela est-il pour autant synonyme de valeur ? La richesse, la variété, l'originalité, la nouveauté ne sont pas nécessairement des gages de qualité et ne sauraient par conséquent être des arguments de choix.

A force de vouloir faire la promotion des excès poétiques en tous genres, il n'y a plus personne pour oser défendre le bon goût, la mesure, la simplicité, l'économie de vocabulaire. Je sais, cette poésie est trop sûre pour être à la mode. De nos jours il faut être audacieux, il faut inventer, comme si les amateurs de l'écriture étaient aptes à une créativité littéraire digne de ce nom. Tenir une plume ne signifie pas pour autant avoir des ailes. On peut être couvert d'effets et ne jamais quitter le sol, à la manière du paon. Faire la roue n'est pas avancer. Il ne faudrait pas confondre l'habit avec le moine. L'avant-gardisme poétique n'est plus qu'une forme insidieuse d'immobilisme pur et simple : les poètes qui s'en réclament pataugent dans les éclatantes incertitudes du genre en habits d'apparat ! N'ont-ils pas tendance, en effet, à confondre le verbe subversif, étonnant, novateur avec le simple vers qui fait mouche ?

Non, la poésie aujourd'hui n'est pas vivante comme vous l'affirmez : elle est expirante, dégénérée, malade, difforme. Elle se cherche des marques nouvelles, et semble ne pas en trouver. Elle ne rayonne pas comme vous le dites et voudriez me le faire croire. Si elle rayonne, c'est plutôt à la manière de ces étoiles mourantes appelées je crois «naines blanches» ou «naines rouges» : elle s'enfle, prend de l'ampleur tout en se diluant dans son inconsistance, devient de moins en moins dense avant d'exploser, de s'anéantir. Elle s'agite en tous sens et c'est vain, parce qu'elle a perdu ses véritables racines. Le fait est que tout le monde se targue de faire de la poésie aujourd'hui.

Raillerait-on la poésie officielle, classique, académique, formelle, celle qui a fait ses preuves ? Je constate que les valeurs sûres du genre ne font plus recette chez les apprentis lettrés.

Il me semble que l'art véritable échappera toujours à ceux qui au nom de la créativité se targuent d'être en avance sur leur temps. S'ils tentent de dépasser les règles formelles du genre, cela peut paraître courageux de leur part mais ça n'est pas nécessairement rendre service à l'art. Prendre des risques n'est pas un gage de réussite systématique. Au moins moi je suis sûr de ne pas me tromper en faisant le choix du passé. Et que celui qui ose se mesurer à Hugo au nom de l'avant-gardisme, défiant mes sages et prudentes paroles pleines de bon sens, m'égratigne le premier avec l'or prétendu de sa plume.

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