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mardi 15 mai 2007

217 - La hauteur de ma tête

Le responsable d'un concours d'écriture, estimant que l'un de mes textes avait ses chances de remporter quelque laurier, insistait pour que je participe à cette partie de belles lettres. Voici en quels termes j'ai défendu ma cause.

Monsieur,

Je tiens à vous remercier encore pour l'intérêt que vous semblez porter au beau spécimen que je suis, ainsi que pour votre flatteuse insistance au sujet de ma présence à cette remise de prix. Cela m'honore, me flagorne, me gonfle d'orgueil et finalement sert bien mon cher ego. Me voilà fier et rond comme une baudruche enflée. Cela dit, je ne viendrai pas. Cette irrévocable décision a la vertu de dilater encore plus cet ego qui me tient tant à coeur. Plume et ego sont d'ailleurs indissociables chez moi, la qualité de l'une allant naturellement de pair avec la démesure de l'autre.

Au téléphone je vous avais expliqué mon point de vue sans appel concernant ces affaires provinciales. Finalement je constate que cette manifestation est parrainée et encaustiquée par du beau monde parisien. Raison de plus pour moi de ne pas me fourvoyer dans ces espèces de vanités. En ce qui me concerne, il est plus glorieux de dédaigner votre flatteuse invitation que d'y agréer, même avec une aristocrate, ostentatoire et hautaine condescendance. Me frotter à ce cercle d'oiseaux occasionnels, même pour y exercer mon mépris, ce serait me discréditer aux yeux des muses.

Je ne veux surtout pas être considéré, ainsi que vous l'écrivez, comme le "révélateur de l'état d'esprit de la société". Je ne suis représentatif ni des masses ni des minorités. Je suis demeuré libre et vierge : glorieusement inculte, associable avec fierté, blasphémateur non seulement envers les amateurs mais aussi et surtout envers les "panthéonisés" de la littérature. Le talent des autres m'insupporte plus que leur médiocrité.

Toutes les plumes sont mes ennemies potentielles.

Ma présence parmi ces adversaires policés et dûment chaussés serait incompatible avec l'idée que je me fais de ma belle et digne personne. Ce serait faire définitivement offense à mon image que de me mêler à cette société de plumes bien élevées, souriantes, ponctuelles au rendez-vous de leur minuscule gloire, et certainement vaines.

Tantôt je raille mes semblables parce qu'ils n'ont pas de semelle au pied, tantôt je les raille parce qu'ils sont joliment bottés. Les va-nu-pieds sont ordinairement les ennemis de ceux qui portent cuir au talon. Aujourd'hui je ne suis point chaussé : je conspue donc les porteurs de guêtres. Demain je le serai : je me rallierai alors à leur raison. Il suffit que la cause de ceux qui me combattent devienne celle du temps qu'il fait pour que je la défende aussitôt, et avec haine encore. Ou pour que je l'attaque de tout coeur.

Ainsi que la météorologie, l'écriture a ses versatilités, ses fantaisies, ses inconstances et ses relatifs mystères. La véritable littérature est issue de hauteurs sujettes à des caprices qui échapperont toujours au gouvernement de leurs auteurs.

Les lettres se sont jouées de moi et les mots m'ont échappé : toute la littérature est là. Gloire à elle et tant pis pour ses invités scrupuleux, souriants, policés et bien chaussés.

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