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jeudi 17 mai 2007

473 - Passions pâtissières

La Rolande n'aimait pas les hommes.

Seuls les gâteaux pouvaient satisfaire ses appétits les plus ardents. Aussi les aimait-elle à la folie, sans honte ni retenue. Toutes les pâtisseries l'attiraient : les fines, les ordinaires, les grasses, les colorées, les farcies aux potirons, les truffées de fraises, les infâmes, les tristes, les gaies, les molles, les dures, les poivrées, les insipides... Elle les voulait absolument toutes, pourvus qu'elles fussent aptes à emplir son estomac ogresque.

Insatiable et pas du tout rebutée par les saveurs nouvelles, la gourmande ne jurait que par la crème à la violette, la chantilly à la cannelle ou le feuilleté mou. Elle s'enfournait sans complexe maints desserts à la suite, étranges et divers. Certains étaient somptueux. D'autres plus simples. Mais la plupart étaient répugnants de garnitures sucrées. Si bien que sous son palais les parfums les plus rares se combinaient aux arômes les plus crus. La Rolande avait la passion des gâteaux comme d'autres ont le goût des amours outrancières et variées. Qui pourrait lui reprocher de s'adonner à son vice avec une telle rage et tant d'excès ? Dans sa bouche la mangeuse mêlait sans distinction la fleur à l'ordure. C'était là son ivresse.

Précisons que l'affamée arborait un giron sans borne, une taille solide, des muscles saillants, un séant callipyge, des pognes viriles. Et avec ça, elle avait une propension innée à s'approprier l'espace vital de ses semblables pour peu qu'elle partageât avec eux le même trottoir, la même banquette de train, la même table.

Les pâtisseries constituaient les seules raisons de vivre de la Rolande. Sur Terre ne valaient à ses yeux que les maîtres-pâtissiers, seuls objets dignes de ses transports.

Elle refusa cependant les avances d'un commis pâtissier borgne et même d'un chef glacier un peu gris. Finalement elle s'unit épisodiquement à un vieux masseur ayant vaguement travaillé aux bains de Vichy dans sa jeunesse. Leurs rapport furent chastes toutefois car il la mit d'office à la diète. Bientôt elle le quitta et renoua avec ses anciennes habitudes de célibataire, heureuse de pouvoir s'enfourner avec toutes les licences que l'on conçoit ses chers, indispensables, irremplaçables gâteaux.

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